La Cour de Justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a jugé, ce 17 novembre 2023, « qu’aucun des droits de monsieur Ousmane Sonko n’a été violé et l’a débouté de ses demandes » selon Me Siré Clédor Ly, l’un des avocats de l’opposant sénégalais.
La décision de la cour de Justice de la CEDEAO était très attendue, car, la candidature de l’opposant sénégalais à la présidentielle de février 2024 dépend de sa réintégration sur les listes électorales. Au Sénégal, la Cour suprême du pays doit se prononcer ce vendredi sur la réintégration de Ousmane Sonko sur les listes électorales.
C’est quoi la Cour de Justice de la CEDEAO ?
Initialement conçu comme le «Tribunal de la Communauté » dans le traité de 1975, la Cour de Justice de la Communauté de la CEDEAO (CJCC) est la suite d’un Protocole de 1991 adopté par les chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO. La CJCC est actuellement établie par les articles 6 et 15 de la version révisée du Traité de 1993 de la CEDEAO.
Le mandat de la Cour est d’assurer le respect de la loi et des principes d’équité ainsi que l’interprétation et l’application des dispositions du Traité révisé et de tous les autres instruments juridiques subsidiaires de la Communauté.
La CJCC a des compétences sur le plan du contentieux, elle a des compétences consultatives et arbitrales.
La Cour examine les cas de manquement des États membres à leurs obligations en vertu du droit communautaire. Elle est compétente pour statuer sur tout litige relatif à l’interprétation et à l’application d’actes de la Communauté.
La Cour statue sur les litiges entre les institutions de la Communauté et leurs fonctionnaires et est compétente pour connaître des affaires concernant la responsabilité pour ou contre la Communauté.
La Cour apprécie la légalité des règlements, directives, décisions, et autres instruments juridiques subsidiaires adoptés par la CEDEAO.
Suite à des modifications apportées à son Protocole original dans le Protocole complémentaire de la Cour de 2005, la compétence de la CJCC est maintenant étendue pour couvrir les cas de violations portant sur les droits de l’homme dans les Etats membres de la CEDEAO.
Plus de 85 % des cas conclus par la CJCC dès décembre 2009 étaient liés aux allégations de violations des droits de l’homme au sein des États membres de la CEDEAO.
Qui composent la Cour de Justice de la CEDEAO ?
La Cour est composée de juges indépendants, choisis parmi des personnes de haute valeur morale, ressortissants des États membres, possédant les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour occuper les plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui sont des jurisconsultes de compétence notoire en matière de droit international et nommés par la conférence des chefs d’État.
Selon l’article 03 de son protocole, La CJCC est composée de sept (07) membres dont deux ne peuvent être ressortissants du même État Membre. Les membres de la cour élisent en leur sein un Président et un Vice-président qui agissent en cette qualité pendant une période de trois (03) ans.
L’article 04 précise que les membres de la Cour sont nommés pour une période de cinq (5) ans. Leur mandat ne peut être renouvelé qu’une seule fois pour une autre période de cinq (5) ans seulement. Toutefois, pour les membres de la Cour nommés pour la première fois, le mandat de trois (3) membres expire au bout de trois (3) ans et celui des quatre (4) autres membres au bout de cinq (5) ans « .
La CJCC est actuellement présidée par le juge ghanéen Edward Amaoko Assante. Le juge Gberi-bè Ouattara de la Côte d’Ivoire est son vice-président.
Qui peut saisir la Cour de justice de la CEDEAO ?
La Cour de Justice de la CEDEAO est la juridiction principale de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Elle peut être saisie par les ressortissants des États membres ou des particuliers en cas de violation des droits humains sur le territoire d’un État de cette communauté et ou pour avis consultatifs.
La Cour peut donc être consultée par tous les États membres, l’Autorité des Chefs d’État et de gouvernement et des autres institutions de la CEDEAO; des personnes physiques et morales, pour tout acte de la Communauté, qui viole leurs droits; le personnel de l’une des Institutions de la CEDEAO; les personnes victimes de violation des droits de l’homme commises dans un État membre; les tribunaux nationaux ou toutes parties à une affaire, lorsque de tels tribunaux ou parties demandent que la Cour de la CEDEAO interprète, pour des raisons préliminaires, la signification d’un instrument juridique de la Communauté.
La Cour applique le traité, les conventions, protocoles et règlements adoptés par la Communauté et les principes généraux du droit énoncés à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice.
Les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles d’appel, sauf en cas de demande de révision par la Cour. Les décisions de la Cour peuvent également être soumises à l’objection de la part des tiers ; elles sont contraignantes et chaque État membre doit indiquer l’autorité nationale compétente chargée de l’exécution des décisions de la Cour.
Quelles sont les forces de la CJCC ?
L’existence même de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO est une force souligne le Juriste et Expert en Droit de l’Homme, Serge PRINCE AGBODJAN. »Cette Cour est fonctionnelle et rend des décisions » précise le juriste qui rappelle que la Cour a, déjà, dans plusieurs affaires, fait preuve de sévérité à l’encontre des États qui piétinent les Droits de l’Homme.
On peut citer entre autres, l’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/06/13 en date à Abuja (NIGERIA) du 03 Juillet 2013 rendu par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO condamnant le TOGO à payer d’une part, au sieur Kpatcha GNASSINGBE et ses co-condamnés la somme de 3.000.000 FCFA pour certains et d’autre part, 20.000.000 FCFA à d’autres.
Selon la CJCC, Kpatcha Gnassingbé, le frère de l’actuel président du Togo Faure Gnassingbé, qui a été jugé pour tentative de coup d’Etat, n’a « pas eu droit à un procès équitable » et qu’il convenait de « réparer cette injustice ».
Les forces de la Cour ne s’arrêtent pas à son existence.
Selon le Juriste et Expert en Droit de l’Homme, Serge PRINCE AGBODJAN, l’une des particularités de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO est d’avoir institué une procédure accélérée pour les dossiers requérant urgence.
Cette procédure siège à l’article 59 du Règlement de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO aux termes duquel « A la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le Président peut exceptionnellement, sur la base des faits qui lui sont présentés, l’autre partie entendue, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du présent règlement, lorsque l’urgence particulière de l’affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais ».
Il en résulte que toutes les fois qu’il y a urgemment lieu de mettre fin à une violation des Droits de l’Homme, la procédure accélérée peut être adoptée.
Mais, pour le Juriste et Expert en Droit de l’Homme Serge PRINCE AGBODJAN, la force majeure de la Cedeao est relative à la question de l’épuisement des recours.
Contrairement à d’autres juridictions internationales investies de la mission de protection des Droits de l’Homme, la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO reste compétente à connaître des cas de violation des Droits de l’Homme indépendamment de tout épuisement préalable des voies de recours internes.
En d’autres termes, un justiciable ayant porté son différend par-devant une juridiction nationale qui n’a pas encore statué est recevable à déférer le même litige par-devant la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO à la seule condition que ses Droits de l’Homme aient été foulés aux pieds et qu’il n’ait saisi une autre juridiction internationale compétente pour le même objet, conformément aux dispositions de l’article 10 du Protocole additionnel portant amendement du Protocole N°A/P.1/7/91[9] relatif à la Cour de Justice de la Communauté.
Quelles sont les limites de la Cour de Justice de la Cedeao ?
La juridiction communautaire a des insuffisances souligne le Juriste et Expert en Droit de l’Homme Serge PRINCE AGBODJAN.
Il évoque entre autres l’absence de texte permettant la récusation des membres de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO. Selon lui, »il est seulement dit dans le protocole que si un État est en cause, le juge de cet État ne participe pas à l’audience ». Cela n’est pas suffisant assure le Juriste.
L’article 22-3 du Protocole relatif à la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dispose que « Les Etats membres et les institutions de la communauté sont tenus de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires de nature à assurer l’exécution de la décision de la Cour », mais force est de constater que certains Etats n’exécutent pas les décisions de la CJCC.
»L’absence de texte pour contraindre efficacement tous les États membres à exécuter les décisions est l’une des limites de la Cour », analyse le Juriste.
»Quand les Etats signent des traités c’est une affaire de respect que l’Etat se donne », ajoute l’Expert en Droit de l’Homme Serge PRINCE AGBODJAN.
Pour lui, »il est assez difficile de contraindre un État » mais il suggère entre autres l’accès à des financements des États membres par le respect des décisions de la Cour.
Il revient surtout dit-il aux sociétés civiles et aux politiques des différents pays de mettre pression pour amener l’État à respecter ses engagements à l’international.
Sycfreed Mawoulé Djènoukpo