AccueilA la uneAmadou Makhtar Mbow fête ses 100 ans

Amadou Makhtar Mbow fête ses 100 ans

Né le 20 Mars 1921 à Dakar, et élevé à Louga dans le Sahel, où la rigueur des
conditions naturelles et l’emprise de l’environnement social forgent le caractère des
hommes à la résistance aux aléas de la vie, il a très tôt aspiré à libérer son pays et
l’Afrique du joug colonial, et voir s’instaurer dans le monde à une ère de paix, de
progrès, de justice et de fraternité. L’engagement et le militantisme qui ont marqué sa
jeunesse l’ont conduit du monde rural au scoutisme laïc urbain, et l’ont amené,
devançant l’appel, à prendre part à 19 ans, comme volontaire, à la Guerre 1939 –
1945, dans l’armée de l’air française.
Démobilisé à la fin de la guerre, il entreprend des études d’Histoire et de Géographie
à la Sorbonne à Paris. Là son militantisme estudiantin et ses écrits, au sein de
l’Association des Étudiants Africains qu’il préside puis de la Fédération des Etudiants
d’Afrique Noire de France (FEANF) – dont il fut l’un des principaux fondateurs – en font
l’un des pionniers les plus convaincants et un partisan résolu de l’indépendance de
son pays.
Après avoir dirigé le Service de l’Éducation de Base, il siège dès Mai 1957, dans le
premier gouvernement de l’autonomie interne comme Ministre de l’Éducation, de la
Culture, de la Jeunesse et des Sports. A l’accession du Sénégal à l’indépendance, il
redevient Ministre de l’Éducation, puis Ministre de la Culture, de la Jeunesse et des
Sports, fonctions auxquelles s’ajoute un mandat de conseiller municipal de la ville de
Saint-Louis et de Député à l’Assemblée Nationale.

Professeur d’Histoire en Mauritanie et au Sénégal, il s’est efforcé d’éveiller la
conscience de ses élèves à l’histoire du monde et à celle de l’Afrique, en particulier,
ainsi qu’aux responsabilités qui incombent aux élites modernes dans leurs sociétés. Il
s’est efforcé aussi de susciter en eux le goût de l’effort et la volonté de réussir.
Après avoir œuvré inlassablement, dans le cadre de l’éducation de base, à
l’alphabétisation et à l’éducation communautaire des populations rurales, il s’est attelé
à la construction d’écoles, notamment dans les zones déshéritées, à la création de 3
collèges et de lycées, à la promotion de la formation professionnelle et de
l’enseignement agricole, incitant tout particulièrement la jeunesse à l’acquisition du
savoir scientifique et technique.
Le 20 mars 2021 marque le centième anniversaire de Monsieur Amadou Mahtar
MBOW, premier Directeur Général noir de l’UNESCO. Intellectuel et homme de
culture, MBOW a participé à tous les grands combats du vingtième siècle, que ce soit
la lutte contre le nazisme, pour l’indépendance des pays colonisés, contre la
détérioration des termes de l’échange, contre la monopolisation des flux d’information
par le Nord, …
L’éveil de la conscience nationaliste, républicaine et humaniste se fait très tôt chez
MBOW avec son engagement dans la Seconde Guerre Mondiale, son militantisme
dans les associations d’étudiants et ensuite au sein Parti du Regroupement Africain
(PRA Sénégal), pour l’indépendance nationale ainsi que la constitution de l’Etat du
Sénégal. Ce combat se poursuit lorsque sollicité par de larges franges de la population
sénégalaise il accepte, à 87 ans, de diriger les Assises Nationales, avec pour seul
souci, la consolidation de la démocratie au Sénégal.
Parallèlement, le professeur d’Histoire et de Géographie Amadou Mahtar MBOW
enseigne avec passion ces disciplines si essentielles à l’éveil des consciences et à la
reprise en main par les Africains de leur destinée. L’action pédagogique et scientifique
qu’il a menée tant au Sénégal qu’à l’UNESCO (publication d’ouvrages, de manuels,
conception de l’éducation de base,….), ses écrits engagés, notamment sur la
renaissance scientifique de l’Afrique, et la nécessaire solidarité des nations , feront
date dans l’histoire, de même que sa philosophie d’un Nouvel Ordre Mondial de
l’information et de la Communication (NOMIC), qui réactualisait les idéaux de paix et
d’un monde meilleur prônés par l’UNESCO au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale.
Son séjour à l’UNESCO a aussi été marqué par le soutien à des mouvements de
libération nationale, la protection des militants des droits de l’homme des artistes la
défense de l’environnement et, surtout sa ferme mobilisation pour la sauvegarde des
biens culturels des peuples, leur entretien, leur inscription au patrimoine de l’Humanité
et leur restitution à leurs pays d’origine.
Amadou Mahtar MBOW est l’un des plus illustres fils du Sénégal. Ses qualités
intellectuelles et morales, tout comme son charisme international, en font un homme
universel.
En présidant les Assises Nationales du Sénégal (Juin 2008), lieu de recherche et
d’échange entre les Sénégalaises et les Sénégalais sur la vie politique, économique,
sociale et culturelle, afin de trouver des solutions pérennes et efficaces sur les
difficultés que traverse le Sénégal, le Pr MBOW nous a encore montré la voie, avec
ce cri de cœur : « Notre destin n’est inscrit dans aucune fatalité ».
Pour lui, il n’y a pas, dans la vie d’un peuple, de situations qui ne puissent changer.
Tout peut changer, mais rien ne changera sans l’effort des volontés de tous ceux dont
le destin est en cause.
Avec la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI), chargée de
formuler des « propositions visant à améliorer le fonctionnement des Institutions, à 4
consolider la démocratie, à approfondir l’État de droit et à moderniser le régime
politique », l’équipe présidée par l’ancien directeur général de l’Unesco, AmadouMahtar Mbow, qui avait déjà présidé, de juin 2008 à mai 2009, les Assises nationales
du Sénégal, la CNRI a donc fourni au Président de la République, le 13 février 2014,
un véritable catalogue de mesures destinées à renforcer la bonne gouvernance, l’État
de droit, l’équilibre des pouvoirs…
Pour rendre hommage à ce « Trésor Humain Vivant », cet éducateur émérite, grand
fils du Sénégal et de l’Afrique, doublé du militant infatigable des causes de justice, de
démocratie, d’égalité et de solidarité entre les peuples, le Comité de Célébration du
Centenaire organisera plusieurs événements.

Amadou Mahtar Mbow, notre Baobab, boussole de nos libertés.
Difficile de rendre compte de l’ampleur du curriculum vitae d’Amadou Mahtar Mbow,
tant la vie de l’homme, loin d’être un fleuve tranquille, a épousé l’histoire du 20ème
siècle. À l’aube de ses cent ans et au moment où les crises récurrentes de la modernité
semblent sceller le destin de l’humanité et celui de l’Afrique, il nous semble important
d’examiner la biographie d’Amadou Mahtar Mbow à la lumière de la trajectoire de notre
nation.
A l’ombre de ce grand baobab protecteur, nous pouvons trouver réconfort. Il nous
fournit des antioxydants pour préserver la vivacité de nos esprits. Et lorsque, nous en
avons besoin, il nous donne les éléments nécessaires pour alimenter nos corps
individuels et collectifs.
La figure paradigmatique de ce baobab aux racines profondes se donne à penser dans
les arts, l’éducation, les sciences et la culture. Ce baobab est également une boussole
qui nous aide à nous orienter dans l’espace et le temps. C’est la boussole de nos
libertés. L’œuvre et la trajectoire d’Amadou Mahtar Mbow nous servent de cadre solide
pour penser et agir en faveur d’un humanisme responsable. A partir des multiples
dimensions imaginaires, symboliques et réelles de sa culture, Amadou Mahtar Mbow
a développé une pensée esthétique, éthique et pratique.
Mais d’où tient-il cette posture philosophique ? Comment cet enfant qui a grandi dans
le Sénégal des profondeurs, est-il devenu la boussole de nos libertés ? Dans quel
environnement ce baobab a-t-il poussé ?
Pour répondre à ces questions, il nous faut nous intéresser au parcours du jeune AMM,
Ndiaga comme l’appellent ses proches. Ce parcours révélera tout au long de sa vie de
nombreuses qualités puisées dans une éducation au carrefour de la tradition et de la
modernité.
Né en 1921 à Dakar, et grandi à Louga, une petite ville cosmopolite en essor, le jeune
Ndiaga fait ses classes dans un contexte colonial où, du Marbath, le marché à bétail,
à la gare de la ligne de chemin de fer Dakar-Niger, se mélangent ruralité et urbanité.
Enfant talibé, Ndiaga Mbow est imprégné des valeurs africaines du courage, de la
décence, de la solidarité et de l’humilité que ses parents, ses maitres coraniques et sa 5
communauté lui ont inculquées pour d’abord réussir à l’école coloniale et ensuite faire
face aux contradictions et incertitudes de la vie.
Ainsi, ayant reçu ces repères solides et ayant grandi dans un milieu où passait
convenablement la communication intergénérationnelle, le jeune Mahtar s’est nourri
des récits de ses grands-parents, de ses oncles, de ses parents et a ainsi développé
une fabuleuse mémoire qui, aujourd’hui encore, force l’admiration par son aptitude à
fixer de manière presqu’infaillible les noms, les faits, les émotions, les circonstances.
Il s’est ainsi forgé une boussole intérieure capable d’aller à la conquête du monde.
Pendant la deuxième guerre mondiale, cette boussole intérieure le sortira des
situations dangereuses. Il lui permettra également de développer tout au long de sa
vie, une sagesse pragmatique. Mais comment nous approprier la boussole intérieure
d’AMM qui lui a permis de naviguer dans ce monde dangereux ?
Comme il a su le faire vis-à-vis de la colonisation, il nous faut nous servir de cette
boussole pour détecter les espaces de fuite de la domination, où se glissent
insidieusement et de façon larvée toutes les formes de manipulation, y compris par
l’imposition discursive. A l’instar de la publication de la série de livres sur l’histoire
générale de l’Afrique ou de sa vision sur le NOMIC (le Nouvel Ordre Mondial de
l’Information et de la Communication), il nous invite, en toute subtilité, à utiliser nos
plumes, nos pinceaux, nos mains, nos cerveaux, nos corps comme boussoles et
comme moyens pour voir et toucher l’humanité et œuvrer pour son unité. Il ne s’agit
donc pas pour lui de faire de ces espaces de fuite un lieu compensatoire, mais des
voies de sortie du désespoir et de la tension c’est-à-dire qu’il faut en faire des lieux de
dialogue des cultures.
Malgré les multiples discontinuités culturelles, les altérations provoquées et les
aliénations politiques créées par le colonialisme, AMM est resté et reste toujours
optimiste pour l’Afrique et l’humanité. A tous les niveaux de son long parcours, AMM
a privilégié la circulation et la revitalisation des grandes idées.
Lorsqu’il nous avertit sur la pente dangereuse de l’évolution et les métamorphoses du
monde, c’est pour mieux nous montrer le vivant des autres, et chercher à adapter la
science aux exigences de l’humanisme.
Reconnaître, clamer et chanter les identités multiples des êtres, telles étaient les
missions que l’ancien Directeur Général de l’Unesco s’était fixées.
Tels sont encore aujourd’hui, plus que jamais, les défis auxquels notre monde est
confronté. Comme un Baobab aux racines profondément enfoncées dans la terre dont
les branches et les fruits traduisent sa capacité à se déployer vers le ciel, Amadou
Mahtar Mbow, cet ancien militaire de l’armée de l’air et agriculteur, nous invite au
respect de l’environnement et à la poursuite de l’innovation scientifique.
Dans une dialectique intériorisation-extériorisation, ce grand Baobab du Sahel n’est
donc pas seulement un repère, c’est aussi une boussole qui se donne à incorporer par 6
chacun d’entre nous. AMM est une boussole pour une jeunesse aujourd’hui
déboussolée !
*Ce texte est une partie du prologue de la Biographie d’Amadou Mahtar Mbow à
paraitre en Novembre 2021
Fatoumata Diallo Ba, Ecrivain et Mahamadou Lamine Sagna, Universitaire

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