Le Président nigérien a accordé un entretien exclusif à des médias de l’Afrique de l’Ouest dont le groupe Emedia du Sénégal. Mohamed Bazoum évoque les enjeux de la lutte contre le terrorisme, de la croissance démographique de son pays, de son voisinage avec le Nigéria et son pays qui en souffre avec la Naira. Mais aussi le reportage de ITV sur les mendiants nigériens à Dakar. Il a réaffirmé que ses compatriotes étaient plutôt victimes de trafic d’êtres humains. Bés bi et Emedia.sn font un zoom sur quelques sujets abordés avec Bazoum.
Voilà maintenant un peu plus d’un an que vous êtes à la tête du Niger. Dans quel état d’esprit est M. le Président ?
Je suis quelqu’un qui est engagé dans une mission très difficile, parce qu’il s’agit de diriger un État. Même dans des circonstances normales, c’est une mission difficile. Au Niger malheureusement, en 2022, notre réalité est faite de ce contexte marqué par l’insécurité qui a beaucoup affecté notre sous-région, qui a eu raison des États. Au mali, vous savez malheureusement, ce que cela a eu comme conséquence, au Burkina Faso par la suite. C’est un grand défi que de lutter contre le terrorisme. Le Niger est au centre du Sahel, voisin de la Lybie où tout le long de la frontière, au Sud de ce pays et vous n’avez aucune forme de présence militaire ni d’une quelconque autorité. Nous faisons face aussi à l’insécurité dans le bassin du lac Tchad. Et ne serait-ce que sous cet angle-là, vous voyez que nous avons une tâche particulièrement délicate, mais nous sommes déterminés à vaincre le terrorisme, à conforter les institutions de la République et à donner à notre pays, des chances de prospérité et de bonheur pour notre peuple.
« Nous, nous n’avons pas une ambassade de Russie ici et nous n’avons pas de contact avec la Russie, qui puisse nous permettre de comprendre qu’il y avait des avantages pour envisager d’aller avec ce pays »
Le Mali sous la direction du Colonel Assimi Goita a choisi un partenaire stratégique dans la lutte contre le Terrorisme, la Russie, et a chassé Barkane et Takuba. Seriez-vous tenté par l’expérience malienne, en matière de lutte contre le terrorisme ?
Je ne pense pas que la question de la lutte contre le terrorisme soit une question technique et qu’il suffit d’avoir le bon partenaire pour que cela se règle. Mais la question est plus compliquée que cela. Nous, nous n’avons pas une ambassade de Russie ici et nous n’avons pas de contact avec la Russie, qui puisse nous permettre de comprendre qu’il y’avait des avantages pour envisager d’aller avec ce pays. Et donc pour nous, la question ne se pose pas. Ce n’est pas de façon totalement abrupte que énonçons la solution comme une forme de coopération avec la Russie. J’ai toujours dit que nous nous achetons nos hélicoptères à la Russie et donc, çà c’est notre Ministère de la Défense qui a des canaux par lesquels il passe pour procéder à des opérations d’achats de matériels militaires russes. Mais j’ai également toujours dit que nous n’envisagerons jamais de louer les services d’une société de sécurité privé Russe, ou relevant de notre pays, pour faire la guerre à la place de notre armée. D’une part, parce que nous n’avons pas ces ressources-là. Notre armée ne l’acceptera même jamais, parce que tout simplement ce serait prendre dans ce que nous donnons à l’armée pour le mettre à la disposition de ce personnel des sociétés de ce genre-là.
Sur la présence des privés russes, pour certains ce sont des instructeurs, pour d’autres, ce sont des mercenaires. Quel qualitatif leur donneriez-vous ?
Vraiment, je ne parle que des choses que je maîtrise. Je n’ai aucune idée de ce qui se passe au Mali, de ce point de vue. Donc, je n’ai pas à faire des évaluations parce que je n’en ai pas les outils, honnêtement.
Est-ce qu’aujourd’hui, au niveau du G5 Sahel, on va dire qu’on est en difficulté de mettre en place un mécanisme réel contre l’insécurité. Quelle formule pour d’engager une stratégie commune ?
Le G5 Sahel, à l’origine, en 2014, avait été conçu comme une organisation de solidarité de type économique entre les pays affectés par la violence terroriste et surtout sur le territoire malien, mais qui avait des répercutions sur notre pays. Il y avait, en effet, des annonces de nombreuses initiatives en 2013-2014 au plan économique. Il y avait l’initiative du Sahel, de l’Union européenne, des Etats-Unis d’Amérique, de Pnud… Et les chefs d’Etat de ces 5 pays ont estimé qu’il était bon de créer une coordination et de mettre en place un réceptacle pour coordonner toutes ces initiatives. Mais, nous n’avons jamais reçu de véritable coordination opérationnelle de nos actions militaires, dans la mesure où, en vérité, l’enjeu, c’était les trois pays du centre. Le Mali étant absent de sa partie septentrionale, nous n’avons jamais pu mener des opérations conjointes. Par exemple, avec le Niger, nous n’avons jamais su nous coordonner tout à fait. Avec le Burkina, nous avons eu des opérations coordonnées, pas forcément dans le cadre du G5 Sahel qui existait pourtant. Mais pas dans des missions typiquement G5 Sahel avec des instructions qui viennent des dispositifs du commandement du G5 Sahel. Je considère que le G5 Sahel n’a pas tout à fait réussi sa mission de coordination des investissements économiques qui étaient l’objet de sa mission à la base. Il n’a pas d’avantage non plus répondu de façon efficiente à l’objectif de la coordination opérationnelle des actions militaires.
Avec le retrait annoncé du Mali, compte tenu de la situation
Bien sûr dans la mesure où on était cinq. Maintenant, on ne l’est plus. Ainsi, je considère que cela augmente encore nos difficultés qui sont bien réelles avec le retrait du Mali.
Avec l’ancien régime où vous étiez ministre, il y a eu des engagements qui ont été pris pour crédibiliser les institutions. Peut-on dire que le travail n’a pas été fait à l’époque ?
Notre volonté de moraliser la vie publique a toujours été affirmée et assumée. Sur le parcours, nous pouvons tirer des leçons. C’est cela l’avantage d’un changement. Le président Issoufou et moi, c’est la même éthique, le même engagement. Mais, la vertu du changement a produit un effet. Dans la position qui était mienne, j’ai pensé mettre l’accent sur certaines questions, bien plus que ne l’avait fait le président Issoufou. Il a eu le mérite de faire en sorte qu’à travers cette affaire dite de Ministère de la défense nationale (Mdn). En effet, grâce à lui, nous avions récupéré 12 milliards de la main d’opérateurs économiques. C’est cela l’avantage de l’alternance. Dans la même dynamique, on peut corriger les erreurs parce que les acteurs ont changé. Mais le président Issoufou et moi nous sommes de la même famille politique, nous sommes des camarades. Et il sait que je ferai ce travail-là pour continuer son œuvre et il avait aussi cautionné ma candidature à moi avec notre parti politique. Ne croyez pas que je suis en train de faire des choses sur lesquelles il pourrait ne pas être d’accord. Je suis en train de faire des choses dans la droite ligne de ce que nous avons tracé ensemble. Parce que nous ne sommes pas dans une entreprise où c’est des individus qui décident. Mais nous avons un appareil, un parti solide qui décide des orientations. Parce qu’il est animé d’une éthique qui, elle, est constante. C’est cela l’avantage justement d’avoir des partis politiques forts mais de vrais partis, pas des partis qui appartiennent à des individus qui peuvent en faire ce qu’ils veulent.
« Le président Issoufou et moi, c’est la même éthique, le même engagement »
Le président Issoufou n’a pas dit qu’il est un homme exceptionnel, irremplaçable parce que ce serait nous faire insulte à nous autres. Il n’a pas entre ses camarades décider que c’est plutôt qu’un tel autre qu’il faut préférer. Il a dit : « Il y a un parti que j’ai dirigé pendant longtemps. Et depuis que je suis devenu président de la République, c’est un tel qui m’a remplacé. Il a dirigé le parti pendant 10 ans, nous avons eu des succès sur toutes les élections. Dans toutes les élections que nous avons eu à affronter lorsqu’il était le président du parti c’est donc lui que nous devons choisir. » Vous voyez il n’a jamais joué un jeu malsain de quelque nature que ce soit, il a laissé les choses se passer normalement. C’est cela la crédibilité de nos institutions, c’est cela qui a conforté notre situation d’aujourd’hui. C’est cela qui a expliqué qu’aujourd’hui on n’a pas été divisés. Nous sommes un parti fort avec une vision et une vraie éthique que nous pouvons continuer ce travail et le mener jusqu’au bout, c’est-à-dire faire en sorte que nous donnions la prospérité à laquelle aspirent nos citoyens.
Vous parlez d’éthique, sur la question de la réduction du train de vie de l’Etat qu’est-ce qui est fait concrètement ?
Nous avons un grand engagement qui consiste à rationaliser les dépenses de l’Etat et éviter les dépenses qui sont superflues et inutiles. C’est un travail de tous les jours que nous devons mener pour améliorer les recettes. C’est important pour que l’Etat dispose de ressources dont il a besoin pour assumer son rôle régalien. Mais aussi économiser les dépenses et les orienter utilement. Cela participe à l’éthique du combat que nous devons mener.
Un de vos ministres fait partie des hauts cadres. Il est en prison. Alors, c’est un acte fort que vous avez posé. Mais le peuple a toujours besoin d’exemple. Est-ce que le président de la République s’est soumis à une déclaration de patrimoine, par exemple ?
Cela existe chez nous depuis très longtemps. Ce n’est pas un problème. Les membres du gouvernement et les présidents de la République sont soumis à une déclaration sur laquelle la Cour des comptes est très exigeante et elle est en train d’affiner ses moyens. Donc, c’est quelque chose qui est déjà acquis au Niger mais nous devons être encore plus exigeants pour que ce qu’on peut avoir comme résultat soit une formalité. Il faut être plus exigeant pour que personne n’occulte dans ses déclarations des biens, des choses qui ont vocation à être dites. Il n’y a personne qui puisse penser qu’il peut être protégé. Mais malgré cela, nous avons dit à notre société civile que le combat contre la corruption est très dur parce que, dans l’ombre, il y a une autre dimension qui n’est pas qu’humaine. Et dans l’ombre, il y a des démons, c’est clair.
Dans votre programme, l’éducation est l’une de vos priorités. La jeune fille se retrouve-t-elle dans cela. Comment gérez-vous la question démographique ?
J’ai fait une conférence à l’adresse des femmes à l’occasion de la journée du 8 mars et j’ai donné des statistiques. J’ai dit qu’en 1960, à l’indépendance, nous avions la mêmes croissance démographique que Sénégal. Nous avons presque la même population que le Bénin. Nous étions à 3 300 000 habitants, le Sénégal à 3 100 000, le Bénin à 2 800 000. Aujourd’hui, nous sommes, à peu près, à 25 000 000 en tout cas en 2020. Nous étions à 24 000 000 mais le Sénégal était à 14 000 000 en 2020, le Bénin aujourd’hui est à 11 000 000.
Les enfants qui quittent leurs villages pour aller là où il y a le collège manquent justement de commodités pour poursuivre décemment leurs études. Quand une fille est orientée au collège du village d’à côté, ses parents ne consentent pas à la laisser partir parce qu’ils se retrouveront dans la rue. Souvent, les parents finissent par donner leurs filles en mariage et elles se mettent à se reproduire à l’âge de 15 ans. Les statistiques montrent que 52% des filles de moins de 15 ans dans la région de Zezere ont un enfant. Vous voyez ces statistiques sont effrayantes et la réponse que j’ai trouvée c’est précisément de créer des collèges de façon à garder les filles et à leur assurer une scolarité longue qui les met à l’abri des mariages précoces et qui leur donnent des chances d’être des personnes qui auront des capacités de vivre dans cette époque très dure. Justement, cette croissance démographique devrait être abordée d’une certaine façon. Elle est peut-être un sujet sensible. Vous avez parlé des mariages précoces, on parle également de la polygamie, qui est mise en cause et parfois on entend des discours du genre : « Vous faites trop d’enfants. »
Comment arrivez-vous justement à faire face à des résistances qu’on imagine au sein de la société ?
Il faut être intelligent et mettre en œuvre des démarches qui ne heurtent pas la mentalité des citoyens. Moi, je ne parle pas de réduction de naissance parce que cette question peut avoir une dimension éthique contraire aux prescriptions de la religion. Je suis en train d’insister sur la nécessité d’être plus responsable dans la façon d’épouser les femmes. Je prône une polygamie responsable au Niger. Malheureusement, vous avez souvent des personnes qui sont sans emplois, sans revenus, et qui marient plusieurs femmes et qui font beaucoup d’enfants dont ils ne peuvent assurer l’éducation et qu’ils laissent dans les rues. Et ce sont des délinquants qui deviennent un problème pour la société. Quand vous dites ça à des personnes, elles ne sont pas forcément insensibles à la situation. Par conséquent, nous allons mettre en place ce que nous allons appeler l’Office national de la population et qui aura vocation à faire le travail de sensibilisation qui doit être en adéquation avec la mentalité de nos citoyens. Nous pouvons attendre des résultats de cet effort de sensibilisation mais le grand résultat, nous l’aurons à travers la promotion de l’éducation. Le jour où notre système éducatif sera en mesure de maintenir pendant longtemps les enfants à l’école, il sera en capacité de leur donner les connaissances qui vont faire d’eux des citoyens pouvant capables de s’épanouir.
Quelle part du budget accordez-vous à l’éducation dans votre vie, parce que j’entends beaucoup d’ambitions ? Est-ce que cette ambition vous la mettez en œuvre en exprimant cela à partir du Budget national du développement ?
Nous construirons en trois années 36 mille classes. C’est clair que ce sera plus de 22% de notre budget qui sera investi dans les écoles et c’est mon ambition. Aujourd’hui, nous sommes à peu près à 19%.
Est-ce-que vous voulez des ministres polygames ?
Je faisais une conférence à l’adresse des femmes et je leur ai dit que nous devons, nous Nigériens, lutter contre la polygamie irresponsable. Vous le savez certainement, vous avez des enfants et des femmes qui vont mendier jusqu’à Dakar et qui sont en ce moment à Accra, que nous sommes en train de ramener. Ce sont les effets de ces mariages un peu en désordre, pas du tout réguliers. Nous avons une population qui croit dans un contexte d’une mentalité qui est restée la même. Donc il faut agir sur cette mentalité. Et c’est pourquoi j’ai dit aux ministres : « Pour que nous donnions un bon exemple, décidons qu’aucun d’entre nous ne prenne une femme supplémentaire. S’il y en a qui sont déjà polygames, ils le resteront mais il est bon que nous donnions l’exemple. » Vous voyez ça ! ça fait un choc et ça peut provoquer un débat mais un débat qui peut être quelque chose de positif.
Notre chaine Itv, justement a fait un reportage, sur la présence d’une communauté nigérienne à Dakar. Réaction prompte de votre gouvernement qui l’a rapatriée. Est-ce qu’il s’agissait d’un cas de trafic de migrants ?
Oui, on peut le dire. Il s’agissait d’un cas de trafic de personnes. Ce sont des réseaux de trafic de migrants qui utilisent la mendicité aussi comme une source d’enrichissement. C’est bien paradoxal mais c’est la vérité, et nous avons ces réseaux surtout qui opèrent en l’Algérie. Chaque semaine, l’Etat algérien amène des centaines d’enfants et de femmes à partir du territoire algérien et puis les réseaux ont tendance à s’entendre. Maintenant, sur d’autres pays, notamment de l’Afrique de l’Est et du centre, ce sont des réseaux criminels. Nous sommes en train de lutter contre eux de façon plus efficace. A partir de Dakar nous avons arrêté tous ceux qui sont sur la chaîne. Je lisais un rapport de la police qui fait état de tentative de déplacement de mendiants nigériens de notre territoire vers l’Algérie. Cela veut dire que le dispositif que nous avons mis en place est opérationnel.
Vous êtes contre le troisième mandat ?
Nous sommes contre le troisième mandat. Et nous sommes en train de changer le protocole de la Cedeao relatif à la démocratie, à la bonne gouvernance et aux élections, pour que nous prévoyions des dispositions qui, justement, font des changements constitutionnels pour envisager des mandats supplémentaires indus comme une entreprise de subversion sur les institutions. Exactement comme un coup d’état.
Y compris celui de la Côte d’Ivoire ?
Oui s’il venait à l’esprit au président Alassane Dramane Ouattara de faire un troisième mandat, il tombera certainement sous le coup des nouvelles dispositions que nous allons mettre dans le prochain protocole. Et ça vaudra pour moi aussi et pour quiconque.
M. le Président, développer le Niger et l’Afrique suppose également une maîtrise sur sa monnaie. Aujourd’hui, au sein de l’espace Uemoa, c’est le franc Cfa qui est utilisé. Il y a une perspective d’un passage à l’Eco, êtes-vous vraiment opposé au FCFA ?
Ça n’a pas de sens de dire que nous sommes opposés au franc Cfa. Je ne suis pas opposé au franc Cfa. Par contre, dans la mesure où, moi j’ai le Nigeria comme voisin, qui a une monnaie caractérisée par une politique monétaire qui a fait en sorte que cette monnaie est toujours très faible, alors que le franc Cfa est riche. Nous avons de réelles difficultés pour le développement de l’économie de notre pays. Notre plus grand partenaire commercial, nous Niger, c’est le Nigeria, et notre intérêt à nous, c’est de pouvoir commercer de façon fluide avec le Nigeria. Le franc Cfa a ses avantages et il a aussi ses inconvénients qui sont loin d’être rédhibitoires, je vous le dis, pour que nous y soyons opposés, de façon doctrinale. Mais le Niger est dans une position telle que le franc Cfa n’est pas favorable au commerce que nous avons envie d’entretenir avec le Nigeria. Nous avons une monnaie très forte, qui fait que nous ne pouvons rien exporter au Nigeria. Pire, quel que soit ce que nous produisons sur notre territoire, il est concurrencé par ce qui vient du Nigeria.
Emédia